Lors de mes accompagnements et visites de classe, je constate que mes collègues font état de leurs difficultés à gérer les comportements de certains élèves.

Des troubles spécifiques, un développement insécure dans la petite enfance, un traumatisme,  un manque de structuration dans l'éducation des parents sont des hypothèses de causalité. Pourtant, en classe, pouvons nous agir sur ces causes lointaines et ultimes ? Pouvons -nous en milieu scolaire valider ces hypothèses ?

Je ne le pense pas ! Et surtout, quels gestes professionnels peuvent découler de ces dernières ?

 

Il semble donc important de pouvoir réfléchir autrement et de centrer notre action d'enseignant sur ce qui se passe à l'école et dans notre classe. Bien évidemment en cas de difficultés majeures et persistantes malgré la mise en œuvre de stratégies pédagogiques et éducatives adaptées, un travail d'alerte et de partenariat avec les équipes de soins et les familles est indispensable. Il n'est pas question de nier ce qui se passe en dehors de l'école.

Voici donc quelques apports  théoriques et pratiques pour faire évoluer nos pratiques.

 

• La psychologie comportementale

En France, ce courant de la psychologie est peu présent encore aujourd'hui. Il n'est pas rare que la psychologie comportementale ne soit pas enseignée dans les universités (cursus psychologie, cursus médecine), les écoles d'éducateurs ou les établissements de formation des enseignants même spécialisés.

C'est pour cela que même dans des établissements spécialisés tels les Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ITEP), prenant en charge les élèves ayant des troubles dits " de comportement" il n'y ait pas de personnels formés à la psychologie comportementale. Cela me parait sidérant ! En France, les références théoriques de nombreux professionnels de la pédopsychiatrie et du monde éducatifs sont basées uniquement sur les apports de la psychanalyse. Pourtant la psychologie est riche de nombreux courants.  Ce n'est pas anodin car ces théories ne font pas consensus au niveau international, elles ne sont pas ou peu évaluées ou reconnues. Elles sont même écartées par la Haute Autorité de santé (HAS) des recommandations de bonnes pratiques professionnelles (RBPP) pour certains troubles comme le TSA. Il n'y a pas de validation scientifique. C'est pour cela que de nombreux pays ne les utilisent pas comme référence pour travailler. Pire, les apports de la psychologie comportementale en France sont caricaturés et dévoyés là encore sans aucune justification scientifique. On se prive à mon sens de connaissances fiables et valides qui viennent compléter les apports de la psychologie développementale, de la psychologie clinique et la psychologie cognitive entre autres.

 

Un peu d'histoire, (humblement vulgarisée) parce que c'est mieux de comprendre d'où viennent les outils ou stratégies que j'utilise en classe

Comportement Répondant

Les premiers travaux de psychologie comportementale datent du début du 20ième Siècle avec les travaux de  John Broadus Watson (1878 - 1958) qui est à l'origine du mouvement américain appelé Le Behaviorisme. Watson voulait rompre avec une psychologie subjective et introspective dont les théories les plus connues sont celles de Sigmund Freud (1856 -1939) avec la psychanalyse. Il voulait que la psychologie puisse devenir l'étude des comportements humains observables de manière scientifique et objective. Il a poursuivi en quelque sorte les travaux de Pavlov. Il travaille sur le modèle comportemental Stimulus  - Réponse et ses applications dans le domaine de l'apprentissage.

 

On parle alors du Comportement Répondant

Par la suite, les travaux de Burrhus Frederic Skinner (1904- 1990) viennent compléter les recherches de Watson. Il met en évidence au delà du stimulus qui déclenche le comportement, l'importance de la réponse à ce comportement. On parle de comportement Opérant. Il montre par ses travaux que non seulement, dans un environnement donné, on peut influencer un comportement en modifiant le stimulus mais aussi en fonction de la conséquence qui va suivre ce comportement. Il met en évidence les notions de " conditionnement"

 Il s'appuie également sur les travaux de Thorndike sur la loi de l'effet et met en évidence l'importance de la notion de Renforcement. Pour Skinner le langage est aussi un comportement. Il théorisera le concept des fonctions du langage et mettra en évidence la notion des opérants verbaux dont les principaux sont : la MAND (Faire des demandes), Le TACT (commentaire de dénomination)  et les intraverbaux (échange dépendant d'une autre personne dans le cadre de la conversation)

article opérants verbaux

vidéo Opérants verbaux avec Aurélie

C'est donc sur cette base de travaux que le modèle ABC ou ACC (Antécédent - Comportement- Conséquence) voit le jour dans les années 50.

 article ABA pour aller plus loin

 Application pratique à l'école

A l'école, en tant qu'enseignant, nous ne pouvons pas agir comme des soignants ni mettre de thérapies en place. Cependant afin d'améliorer le climat scolaire, anticiper des difficultés comportementales des élèves et plus particulièrement des plus vulnérables, nous pouvons nous appuyer sur les connaissances en psychologie comportementale et cognitive et bien évidemment sur les apports des sciences de l'éducation pour tout ce qui va relever des stratégies pédagogiques d'enseignement.

• Comprendre le principe

Ce qui me semble important à retenir ici c'est que :

Si un comportement est suivi d'une conséquence agréable (récompense) pour la personne, son comportement sera renforcé ( maintenu ou augmenté)

si le comportement est suivi par une conséquence désagréable pour la personne (punition), son comportement ne sera pas renforcé ( il va diminuer ou disparaitre)

 

Cependant, les recherches (notamment en psychologie cognitive) montrent que dans le domaine de l'apprentissage, les enfants et les adolescents apprennent davantage des renforcements que des punitions. De plus, d'un point de vue éthique et effet à long terme, la punition est moins efficace et peut même avoir des effets délétères.

•  La punition génère de la souffrance (anxiété Stress, colère ...)
• La punition peut elle-même devenir le déclencheur d'un nouveau comportement inadapté
• La punition génère une mauvaise compréhension des élèves car:
  • mauvaise contingence entre l'acte commis et la punition. L'enfant en cas de répétition va associer punition (élément désagréable) à l'école ou l'enseignant ce qui peut entrainer un risque de rupture
  • biais d'attribution : si on s'attribue facilement la paternité d'une bonne action, il est montré que cela n'est pas le cas pour une " mauvaise action". là encore, l'élève sera incapable de faire le lien entre son action et la sanction.
• La punition est soumise à l'effet d'habituation : Plus elle est fréquente, plus elle perd de son effet. Il est alors nécessaire d'en augmenter la sévérité pour garder un effet identique avec le risque de conduire à une escalade peu vertueuse.
• La punition n'enseigne pas le bon comportement

 

C'est pourquoi à l'école on préfèrera travailler sur le Renforcement et l'enseignement des comportements adaptés. Ceci afin de permettre une meilleure motivation, un engagement dans les apprentissages et une régulation des comportements

Article sur le blog ici

 Si parfois nous sommes obligés d'apporter des punitions, il est nécessaire d'être vigilent

• La punition doit être brève
• La punition doit être immédiate (ou au plus près de l'action non adaptée)
• La punition doit être peu sévère
• La punition doit être constructive
• La punition respecte les valeurs éthiques de l'école
• les punitions doivent être couplées ç une dynamique de renforcement et d'enseignement des comportements adaptés
• Les punitions doivent être définies en amont et connues des élèves (en association avec les différents comportements) tout comme les récompenses

 

• Les fonctions du comportement

Une chose primordiale à comprendre c'est que le comportement d'un élève (ou d'un collègue, d'un parent ) est toujours signifiant. Parfois l'émotion, les difficultés de communication des uns et des autres font que tout n'est pas immédiatement et explicitement compréhensible. En psychologie comportementale, on pose le principe de la Fonction du comportement.

Il a été montré que les fonctions du comportement chez l'être humain peuvent se modéliser en deux grandes catégories

OBTENIR et ÉVITER. Voici quelques exemples

OBTENIR :

- Satisfaction primaire

- Un bien matériel

- Une reconnaissance un statut

- Un avantage

- De l'attention

- Une stimulation sensorielle ....

 

ÉVITER

- Une situation dévalorisante - humiliante

- Une situation à haut risque d'échec

- Un tâche perçue comme complexe

- Une tâche ennuyeuse

- Une douleur - problème somatique

- Une stimulation sensorielle désagréable

- Un changement / un imprévu non anticipé

 

Il s'agit donc d'essayer de comprendre la fonction du comportement de l'élève qui vous semble problématique.

Parfois, il y en a plusieurs, c'est très envahissant. Même si cela est difficile, si on veut comprendre il est nécessaire dans un premier temps de les observer individuellement.

Pour vous aider, vous pouvez utiliser les grilles ABC /ACC ( ci dessous). Il s'agit ici de consigner (garder une trace objective, factuelle des observables) pour favoriser leur analyse.

Décrire le comportement

décrire les antécédents ( ce qui s'est passé juste avant)

décrire la conséquence ( ce qui s'est passé immédiatement après le comportement)

 

version pdf ici

 

 

Si un comportement est récurent et pénalise la réussite de l'élève et le bon fonctionnement de la classe, il est important de le comprendre pour le réguler. C'est l'analyse fine via ces relevés factuels qui fera apparaitre des éléments de compréhension de la fonction du comportement.

Ainsi ,

On formule des hypothèses sur la fonction du comportement (on ne peut pas être certain à 100 %)

On prévoit des actions pour aménager l'environnement en terme d'antécédent ou de conséquences

On évalue ce protocole régulièrement afin de le réajuster au besoin : Si effectivement le comportement inadapté diminue, c'est que ce que nous avons mis en place fonctionne. Dans le cas contraire, c'est certainement que nos hypothèses ou propositions d'aménagements ne sont pas totalement adaptées ou que l'environnement n'est pas cohérent ( par exemple, il y a certaines personnes qui ne s'engagent pas dans les aménagements proposés)

 

• Mise en œuvre :

On identifie le comportement à faire évoluer

On peut enseigner ce comportement s'il n'est pas connu de l'élève (ou de la classe)

(cf travaux de Steve Bissonnette sur l'enseignement explicite des comportements)

On explicite le sens de ce comportement (l'objectif, la valeur de celui-ci)

On ne se focalise pas sur le comportement inadapté mais on va renforcer le comportement adapté qui lui correspond

- chez la personne quand il est présent

- Chez un autre élève (cela va favoriser l'autorégulation, l'imitation). On peut parler de renforcement différentiel

(cf travaux d'Aln Kazdin sur le soutien au comportement opposé positif )

 

• Comment renforcer les comportements adaptés à l'école

Ou, quelles récompenses donner et comment ?

A l'école, il semble préférable et plus efficace d'envisager des récompenses collectives. Cependant dans certains cas spécifiques, le renforcement individuel peut ou doit se mettre en place (élève avec un trouble spécifique par exemple)

- identifier les comportements à renforcer

- identifier les récompenses (compliments, matérielles,jeux,  jetons, temps de récréation supplémentaire, voir une vidéo, ...)

Il existe de nombreux systèmes de renforcement efficaces.

Quelques points de vigilance :

Systématicité du renforcement : Si au départ, il est nécessaire de renforcer systématiquement un comportement pour créer une dynamique positive permettant de faire augmenter l'apparition du comportement adapté, il ne faut pas créer de dépendance au renforcement ( à la récompense). Il est donc important de diminuer le renforcement progressivement (de l'estomper) en

• Ne donnant pas la récompense systématiquement et de manière non prévisible (aléatoire)
• En augmentant l'exigence pour obtenir la récompense
• En remplaçant les renforcements tangibles par du renforcement social et naturel

 

Le renforcement à notre insu d'un comportement inadapté

Un comportement inadapté peut être renforcé à notre insu souvent quand un élève

• a un comportement de recherche d'attention et que nous lui en apportons systématiquement en réagissant à son comportement
• a un comportement inadapté pour échapper à une tâche et que par exemple nous le sortons de classe car il fait du bruit et que du coup il ne fait pas l'exercice demandé.

Il est alors important de modifier les conséquences au comportement si on veut faire évoluer positivement la situation.

On peut ignorer certains comportements

On peut agir/intervenir sans porter d'attention à l'élève

On peut maintenir la tâche à effectuer même si c'est en dehors de la classe

 

• Comprendre que nos gestes professionnels ont une influence sur l'environnement

L'utilisation de ce modèle nous montre bien l'importance de l'environnement dans la régulation des comportements. On ne peut pas changer le comportement d'un élève de manière directe. La seule possibilité c'est d'influer sur l'environnement pour le modifier et donc modifier les comportements des uns et des autres. Nos gestes, nos paroles, nos postures et notre manière d'enseigner (nos choix pédagogiques et didactiques), nos réactions face à un évènement vont avoir des incidences sur le comportement des élèves.

Comme le précise une étude de Marzano (2003) Le positif attire le positif !

Voici quelques gestes professionnels favorables à l'apparition des comportements adaptés à l'engagement des élèves dans les apprentissages:

(Classification Anne Jorro)

 

Les gestes langagiers

 

- Être poli (en toute circonstance)

- Garder un ton calme, aimable et rassurant

 - Être chaleureux dans nos propos

- Féliciter et encourager les élèves

- Avoir un langage adapté et accessible aux élèves

- utiliser des phrases claires, sans ambiguïté

- Faire preuve d'humour

Le non verbal compte également :

- Être souriant et calme ( si si je vous assure )

- Nos postures physiques (tenue du corps, positionnement par rapport à la taille de l'élève...)

- La proxémie :A quelle distance je me place de l'élève pour m'adresser à lui selon les situations. est-ce que je le touche, est-ce que je touche sa chaise ...

- Nos mimiques : Le visage exprime beaucoup de choses avec les yeux, les sourcils, la bouche ...

 

Gestes éthiques

- Penser que tous les élèves peuvent réussir

- Valoriser les progrès

- Répondre tant que possible aux besoins des enfants en fonction de leur singularité ou leur trouble

- Éviter d'être dans le jugement de la personne

- Respecter les partenaires de soins et les familles

 

Gestes d'ajustement

- s'adapter aux situations des élèves

- Être à l'écoute des besoins

- Donner des explications quand cela est nécessaire

- Reformuler une consigne

- Aider au démarrage d'une tâche

- Circuler dans la classe

- Détourner l'attention

 

Gestes de mise en scène des savoirs

- Mettre en œuvre des pédagogies efficaces pour permettre aux élèves d'apprendre

- Rendre accessibles les savoirs à tous

- Mettre en lien les connaissances acquises et celles à construire

- Motiver les élèves

- Évaluer les élèves régulièrement

 

Ce qui va également être essentiel est :

- Avoir une organisation matérielle de classe structurée et cohérente

- Établir des règles et routines claires et les respecter

- Développer un travail d'équipe au sein de la classe et de l'école

- Avoir une cohérence d'action sur l'école : Avoir un pôle ressource sur la gestion des comportements

 

 

Conclusion

Les propositions d'interventions présentées ici sont indispensables pour tous les élèves. elles font partie des interventions de PRÉVENTION. Elles seront efficaces pour environ 80% de vos élèves.

Pour 15 % des élèves, des interventions plus ciblées seront nécessaires au sein de l'école (actions "correctives) et pour 5% des élèves,  des actions autres que celles de l'école seront à mettre en œuvre en raison d'un vrai trouble spécifique (Trouble de l'opposition, Troubles anxieux, dépression, TSA, TDAH ...). Les soins et traitements spécifiques relèvent d'une décision médicale.

Mais si les actions de prévention ne sont pas mises en place, les autres interventions ne pourront pas être totalement bénéfiques.

Un travail d'équipe, au sein des établissements scolaires et avec les familles et les partenaires de soin est indispensable pour améliorer le climat scolaire et favoriser la réussite de tous les élèves.

La démarche reste la même

OBSERVER - ANTICIPER- ANALYSER - COMPRENDRE- AGIR - ÉVALUER -  RÉGULER

 

 

Pour aller plus loin ...

• Le MOOC : psychologie pour les enseignants (intervention de Franck Ramus)

parcours M@gistère

Parcours Comportement : https://magistere.education.fr/dgesco/course/view.php?id=2350

• Conférence de Steve Bissonnette : Enseignement explicite des comportements et son ouvrage éponyme

https://www.youtube.com/watch?v=o_2G8cjPJqA

 

 

 

 

 

 

 

• les documents téléchargeables de la province d'Alberta (canada) sur la gestion des comportements

• https://education.alberta.ca/media/482221/renforcerclasse.pdf

  https://education.alberta.ca/media/482222/renforcerecole.pdf

  https://education.alberta.ca/media/482224/renforcerpersonnalise.pdf

et bien d'autres encore ...